Trudeau veut taxer les riches: est-ce réaliste pour le Québec?

15 octobre 2015

S’il est élu, le chef du Parti libéral du Canada Justin Trudeau promet de taxer davantage les citoyens gagnant plus de 200 000$ par an, tout en réduisant l’impôt de la classe moyenne. Nous avions analysé cette proposition au printemps dernier et, contrairement à la croyance populaire, cette modification aux paliers d’imposition profiterait également aux mieux nantis.

Francis Vailles, chroniqueur à La Presse, a publié un texte pertinent récemment, intitulé Trudeau et le 1%. Bien que je sois en accord avec la plupart des arguments présentés, j’ai tiqué sur ce paragraphe qui sème le doute sur l’intérêt et l’efficacité de cette proposition:

Un tel transfert serait impensable à l’échelle du Québec. D’abord, l’écart entre les riches et les pauvres est moins criant. Ensuite, le Québec est déjà la province qui impose le plus ses riches, et toute hausse provinciale risque de les faire fuir à l’extérieur, notamment vers d’autres provinces.

Si le niveau des écarts de revenus est généralement moins prononcé au Québec qu’ailleurs en Amérique du Nord (sauf, de mémoire, quelques exceptions sur certains indicateurs pour les provinces maritimes), ils sont néanmoins plus élevés qu’il y a trente ans et ils coûtent cher à la société.

À elles seules, les inégalités sociales de santé coûtent entre 15 et 17 milliards $ par an au Trésor public québécois (Athanase Barayandema et Guy Fréchet, Les coûts de la pauvreté au Québec selon le modèle de Nathan Laurie, Québec, Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion, 2011). Et c’est sans compter les impacts négatifs sur la croissance économique.

Une hausse d’impôt fera-t-elle fuir nos riches?

Quant à la question de l’impôt élevé qui ferait fuir les riches, il est vrai qu’ils sont légèrement plus imposés ici que dans les autres provinces. Toutefois, ce coût leur accorde des services et une qualité de vie conséquents. Et si certains chroniqueurs donnent en exemple quelques riches qui n’habitent plus au Québec, il reste difficile de comprendre pourquoi les Saputo, Desmarais et Coutu tiennent à rester sur leurs terres plutôt que de déménager au New Hampshire ou en Alberta. D’ailleurs, je n’ai jamais vu d’étude confirmant un quelconque exode des Québécois riches lorsque le taux marginal d’imposition augmente de deux ou trois points. Au contraire, des études tendent à confirmer le contraire.

De toute façon, le taux marginal d’imposition est grandement modéré par les exemptions fiscales et types de revenus déclarés. D’ailleurs, le taux effectif d’imposition tend à être plus faible pour les individus ayant un revenu supérieur à 250 000$ par rapport à ceux ayant un revenu entre 200 000$ à 250 000$ (voir le graphique 34 de cette étude). Autrement dit, à partir d’un certain seuil de revenus, le système fiscal semble devenir régressif.

Selon la même étude, même en prenant en compte les impôts fédéral et provincial, les cotisations sociales et les taxes à la consommation, un individu étant dans la catégorie des 250 000$ et plus (revenu moyen de 600 000$) gardera en moyenne un peu plus de 60% de son revenu dans ses poches. La ponction fiscale effective s’établit en moyenne à 39% pour ce groupe de revenus.

Nous semblons donc bien loin de l’enfer fiscal que certains décrivent.


Ce billet a d’abord été publié sur le blogue Le mirador des inégalités, de l’Institut du Nouveau Monde.