11 février 2016
Dans un éditorial publié dans Le Devoir le 9 février, Jean-Robert Sansfaçon réagit au mandat donné à François Blais, ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, soit de proposer au premier ministre Philippe Couillard une proposition de Revenu minimum garanti (RMG) au Québec.
Le RMG, aussi connu sous les appellations «revenu de base», «allocation universelle» ou «salaire à vie», est un montant alloué par un gouvernement à tous les citoyens sans exception ni contreparties, bien que les critères d’application varient selon les propositions.
Pour juger des avantages et inconvénients d’un éventuel projet de RMG, encore faut-il connaître ses caractéristiques et ses conséquences. Comme le rappelle l’éditorialiste, recevoir chaque année des chèques équivalant à 5000$ ou 10 000$ par année à chaque adulte est attrayant, mais ce sera au prix de l’abolition des nombreuses allocations sociales, incluant même les crédits d’impôt pour enfants et les bourses d’études.
En principe, ce ne serait pas une mauvaise chose en soi, car le RMG simplifierait un processus bureaucratique parfois stigmatisant: présentement, un citoyen doit justifier qu’il est assez pauvre et méritant pour obtenir un soutien financier de la part du gouvernement.
Toutefois, certaines personnes perdraient au change, surtout si le montant du RMG serait inférieur à 10 000$.
Ainsi, tout en assurant un «minimum» à tous, un éventuel RMG québécois pourrait aussi n’être qu’une façon de remplacer de grands pans de l’État-providence, afin de laisser fleurir un «marché de la justice sociale». En cas de pépin, fini le recours à l’État; vous avez eu votre chèque de RMG, maintenant, débrouillez-vous! Fini les services fournis par l’État, comme l’aide à la réinsertion au marché du travail, par exemple. Les gouvernements auraient une excuse supplémentaire pour ne plus intervenir pour réduire les inégalités sociales. Encore une fois, tout dépendra des modalités du projet, mais ce risque existe.
Un montant probablement insuffisant
Même si le montant annuel du RMG était de 10 000$ par personne (ce qui est considéré comme ambitieux et généreux par certains), il ne permettrait pas de couvrir les besoins de base pour plusieurs ménages, surtout ceux et celles qui vivent seuls.
En effet, selon les données de l’Institut de la statistique du Québec illustrées dans le graphique ci-dessous, un montant de 10 000$ par personne (après impôt) couvrirait tout juste les besoins de base d’un ménage de trois personnes, alors qu’il manquerait près de 5000$ pour un ménage de deux personnes et près de 8000$ pour une personne seule. Présentement, la prestation d’aide sociale pour une personne seule ne couvre que 48% du montant nécessaire des besoins essentiels (logement, nourriture, vêtements, soins médicaux et corporels, transport, moyens de communication, loisirs et éducation).
Une formule inégalitaire?
Cet exemple permet aussi d’illustrer comment des transferts ajustés selon la situation de la personne sont en principe mieux adaptés pour éviter ce genre d’inégalité. D’ailleurs, remplacer une redistribution universelle mais ciblée – comme le Supplément de revenu garanti déjà fourni aux aînés plus à risque de tomber sous le seuil de la pauvreté – par un RMG pourrait être régressif, et donc favoriser l’accroissement des inégalités sociales.
Le débat sur le RMG doit aussi se pencher sur les potentiels changements fiscaux qu’une telle réforme impliquerait; l’implantation d’un RMG ne pourra probablement pas avoir lieu sans une augmentation d’impôt pour les contribuables. Évidemment, il est tout à fait possible d’adapter la formule du RMG pour s’assurer qu’il soit progressif, qu’il mette fin à la pauvreté extrême et qu’il complète les outils redistributifs déjà en place au Québec. Mais pour trouver une façon de maximiser les avantages et minimiser les inconvénients, mieux vaut mettre le citoyen au cœur de ce projet, question de bâtir un véritable consensus social autour de cette question.
Une future réforme influencée par l’agenda électoral?
Quant aux enjeux liés à l’implantation d’un RMG au Québec, il y en a plusieurs. D’abord, rien n’exclut une proposition en plusieurs étapes, qui peuvent changer en cours de route.
Ensuite, gardons en tête que le gouvernement Couillard envisage d’abolir la taxe santé et de baisser les impôts des particuliers. Y aura-t-il un changement de cap pour mettre en place un RMG? Ou est-ce que le mandat donné au ministre Blais vise à élaborer une proposition pour la prochaine élection?
La deuxième option semble la plus probable puisque c’est le type de réforme fondamentale qui pourrait exiger tout un mandat à réaliser, avec la réforme de la fiscalité, de tous les programmes sociaux et des négociations fédérales (et constitutionnelles?) que l’implantation d’un RMG implique. Peut-être est-ce la raison pourquoi la réforme Godbout du système fiscal a été mise sur la glace? Après tout, on ne refond le système fiscal qu’une fois par génération. Alors tant qu’à ouvrir ce chantier…
Donc, ni simple, ni simpliste, cette réforme. Plutôt, un danger autant qu’une opportunité; tout dépend de la direction que prend un RMG.
À suivre!
Ce billet a d’abord été publié sur le blogue Le mirador des inégalités, de l’Institut du Nouveau Monde.