Les inégalités tuent et coûtent cher

9 février 2016

L’écrasement d’un avion est une tragédie. Imaginez maintenant que l’équivalent d’un avion baladant plus d’une centaine de passagers s’écrasait tous les jours. On pourrait s’attendre à ce qu’un problème de cette envergure devienne LA priorité nationale, non?

Or, les inégalités sociales entraînent ce genre de dommages évitables. En effet, une récente étude de Statistique Canada démontre que les écarts de revenus actuels sont associés à la mort prématurée de 40 000 Canadiens par année, soit 110 décès prématurés par jour[i]. En réduisant les inégalités de revenus, ces décès pourraient être évités!

Cette recherche est d’ailleurs l’une des rares à quantifier les répercussions des inégalités sociales au Canada, un sujet peu documenté, à l’exception des impacts sur la santé. Par exemple, on sait que les inégalités sociales de santé sont déterminées principalement par la scolarité des parents, la qualité du logement et le niveau de revenus.

Un coût élevé pour le Québec

Deux études québécoises concluent aussi que les inégalités ont un effet sur l’espérance de vie: si vous habitez dans un quartier riche de la ville de Québec, vous vivrez 7 ans de plus que si vous viviez dans un quartier pauvre. À Montréal, cet écart grimpe à 11 ans [ii].

À l’échelle internationale, savez-vous entre quels deux pays on observe un tel écart de 11 ans d’espérance de vie? L’Allemagne et le Bangladesh!

Au Québec, ce fossé représente des milliers de morts précoces imputables à de mauvaises conditions de vie et au stress découlant de l’exclusion sociale, de la précarité économique et d’un accès inégal aux services publics essentiels.

Mais les effets des inégalités ne s’arrêtent pas là. Comparons la situation des 20% les plus riches aux 20% les plus pauvres à Montréal:

Les morts prématurées d’enfants de moins d’un an sont près de quatre fois plus nombreuses chez les personnes les moins nanties.

  • On dénombre huit fois plus de grossesses chez les adolescentes dans le second groupe. Une grande partie de celles-ci abandonneront définitivement leurs études, réduisant leur chance de gagner un salaire décent pour le restant de leur vie.
  • Par rapport aux enfants de moins de sept ans du quintile le plus riche, ceux du quintile le plus pauvre auront 50% plus de séjours à l’hôpital. À cet âge, un enfant sur trois parmi les moins nantis aura pris du retard dans son développement, comparé à un sur cinq chez les plus riches.
  • Il y a deux fois plus de jeunes de 18 ans sans diplôme chez les 20% les plus pauvres. Les écarts de revenus qui en résultent sont déterminants [iii].

En fait de soins de santé, de criminalité et de pertes économiques, les inégalités sociales coûteraient au minimum entre 15,7 et 17 milliards de dollars par an au Québec [iv], ce qui représente environ 6% du PIB. Avec cette somme, nous pourrions construire presque sept CHUM par année!

Et nous ne parlons que des coûts reliés aux inégalités sociales de santé. À cela, il faudrait ajouter les coûts générés par les inégalités sur la croissance économique, la mobilité sociale, la réussite scolaire, la cohésion sociale, etc.

À ce prix, réduire les inégalités n’est rien de moins qu’une aubaine.


Références

[i] Michael Tjepkema, Russell Wilkins et Andrea Long, «Cause-Specific Mortality by Income Adequacy in Canada: A 16-year Follow-Up Study», Health Reports, vol. 24, no 7, 2013.

[ii] Directeur de santé publique de la Capitale-Nationale, Comprendre et agir autrement. Pour viser l’équité en santé dans la région de la Capitale-Nationale, rapport du directeur régional de santé publique sur les inégalités sociales de santé 2012, Québec, Agence de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale, 2012; Directeur de santé publique de Montréal, Les inégalités sociales de santé à Montréal. Le chemin parcouru, rapport du directeur de santé publique sur les inégalités sociales de santé à Montréal 2011, Montréal, Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, 2011.

[iii] Ces exemples sont tirés de la vidéo Inégaux, produite par la Direction de la santé publique de Montréal.

[iv] Athanase Barayandema et Guy Fréchet, Les coûts de la pauvreté au Québec, selon le modèle de Nathan Laurie, Québec, Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion, 2011.


Ce billet a d’abord été publié sur le blogue Le mirador des inégalités, de l’Institut du Nouveau Monde.