Les inégalités et le budget fédéral : restons vigilants !

13 mars 2015

Le Directeur parlementaire du budget à Ottawa a publié hier un rapport fort intéressant. Le thème : l’interaction entre les inégalités de revenus, les programmes sociaux et les impôts. Particularité du rapport, il a également calculé l’impact des inégalités sur les finances publiques fédérales. Le Devoir y a même consacré un article.

Autant il est possible de partager certains de ses constats, autant certaines affirmations contenues dans l’étude sont contestables. Il faut certainement rester vigilants à l’égard des inégalités : certaines mesures fiscales que le gouvernement fédéral s’apprête à annoncer risquent d’accroître les inégalités au pays. Par contre, il n’est pas juste de dire que l’état actuel des choses est satisfaisant. Il y aurait lieu de prendre des mesures pour réduire les inégalités. Se contenter du statu quo n’est pas suffisant.

Duncan MacDonald, l’auteur de l’étude, conclut que la redistribution opérée par les impôts et transferts du gouvernement fédéral fonctionne bien, puisqu’il permet de réduire les inégalités de revenu. Il soutient également que le niveau actuel des inégalités a un impact neutre sur ses finances publiques.

Autrement dit, il y aurait un équilibre entre ce que « rapportent » les inégalités au gouvernement fédéral (grâce aux impôts progressifs sur le revenu) et ce qu’elles coûtent (en mesures correctrices, sous forme de transferts sociaux).

Or, le gouvernement fédéral actuel a promis d’importants changements fiscaux pour les prochains mois, sous la forme de baisses d’impôts, d’une hausse marquée du plafond des cotisations au CELI et du fractionnement du revenu pour les ménages. Ces mesures profiteraient principalement aux ménages les mieux nantis et priveraient les prochains gouvernements d’importantes sources de revenus. Le Directeur parlementaire du budget insiste : il faut être prudent.

Ironiquement, l’auteur soutient que si les inégalités de revenus (avant impôts et transferts) baissaient à un niveau plus faible (47) comme ce fut le cas au début des années 1990, il en coûterait 650 millions $ additionnels au Trésor fédéral. Le graphique ci-dessous illustre bien l’état actuel de la situation.

Son calcul passe toutefois sous silence des morceaux importants.

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Source : Directeur parlementaire du budget, 2015, p. 4.

La situation n’est pas aussi positive que le dit l’étude

D’abord, le rapport n’est pas écrit pour les non-initiés. Il est difficile à lire et à interpréter. Ensuite, l’auteur se contredit parfois. La figure 14 de l’étude montre que les transferts réduisent les inégalités à peu près autant que les impôts. Or, la figure 2 illustre que les transferts réduisent beaucoup plus les inégalités que les impôts dans une proportion de 70 % pour les premiers et 30% pour les seconds. Ces derniers servent surtout à lever des revenus pour financer les transferts et éviter que les hauts revenus ne s’envolent (une fonction qui perd toutefois en importance au cours des dernières années).

Certaines affirmations contenues dans le rapport sont contestables. On ne peut pas dire que le système redistributif fédéral fonctionne bien. En nous appuyant sur les données du rapport lui-même, les impôts et transferts ne compensent même pas la moitié d’une augmentation des inégalités de revenus de marché au Canada. Par exemple, une augmentation de 10% du coefficient de Gini (une mesure universellement utilisée par les spécialistes des inégalités) sera réduite à une hausse de 6% des écarts de revenus après impôts et transferts. Il faut donc en faire plus.

Le Directeur parlementaire du budget soutient aussi que l’impact des inégalités est « neutre » sur les finances publiques. Pourtant, le niveau actuel des écarts est déjà très élevé et génère des coûts importants qui ne sont pas pris en compte dans le rapport. De profondes inégalités augmentent la criminalité, donc les coûts pour le système de justice. Elles ont également un effet néfaste sur l’espérance de vie et la récurrence de maladies graves, ce qui ajoute un lourd fardeau sur le système de santé. Mais surtout, les inégalités handicapent la croissance économique, et donc les revenus du gouvernement, notamment en concentrant les revenus dans les mains de ceux qui épargnent le plus (les mieux nantis), au détriment de ceux qui font rouler l’économie (les moins nantis et la classe moyenne).

Enfin, cette étude ne fait pas la distinction entre les provinces. Ainsi, si une baisse des inégalités « coûterait » plus cher au gouvernement fédéral, il pourrait y avoir l’effet inverse pour un État provincial qui supporte plusieurs programmes sociaux.

Ce rapport a le grand mérite de jeter un premier éclairage sur le coût des inégalités sur les finances publiques, aussi imparfait soit-il. Le Canada gagnerait à réduire ses niveaux élevés d’inégalités. Il faut donc faire attention : plus d’inégalités coûteraient plus cher. Le Directeur parlementaire du budget a raison : nous devons rester vigilants.


Ce billet a d’abord été publié sur le blogue Le mirador des inégalités, de l’Institut du Nouveau Monde.