La valeur patrimoniale des Québécois augmente, mais les inégalités se creusent

19 mai 2015

L’Institut de la statistique du Québec (ISQ) publiait le 13 mai un portrait de l’évolution de la situation financière des ménages québécois, en comparant l’évolution des dettes et des actifs entre 1999 et 2012. On y apprend notamment que «les inégalités de valeur patrimoniale se sont creusées entre les familles formant 40 % des familles les moins nanties et celles représentant 60 % des plus riches».

Durant cette période, alors que le patrimoine des familles les plus aisées s’est accru d’environ 100 %, l’augmentation du patrimoine des familles les moins favorisées n’a pas franchi la barre du 50 %. Les principaux responsables de cette hausse des inégalités de richesse sont le boum immobilier et les inégalités de revenus.

Malgré tout, l’ISQ conclut que l’ensemble des familles s’est enrichi, à l’exception des ménages ayant un revenu inférieur à 25 000 $ (une situation parfois transitoire).

Que s’est-il passé? Comment expliquer ces changements dans la valeur patrimoniale des ménages?

Croissance économique et boum immobilier

Entre 1999 et 2012, le patrimoine médian des ménages québécois est passé de 100 200$ à 197 900$. Cela signifie que les actifs et investissements des ménages ont crû plus rapidement que leur endettement, qui croît aussi, constate l’ISQ.

Il faut souligner que la période allant de 1998 à 2008 a été marquée par une forte croissance économique, une baisse du taux de chômage, une augmentation du revenu médian pour la plupart des catégories socio-économiques (âge, genre, statut socioprofessionnel), tous des facteurs qui favorisent la richesse.

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Cette décennie a aussi été caractérisée par le vieillissement de la population et une performance exceptionnelle de la Bourse. Ces deux éléments expliquent que les actifs accumulés dans les régimes de retraite privés se soient accrus de 73 % entre 1999 et 2012, passant de 67 400$ à 116 300$ par ménage. D’ailleurs, les ménages composés d’aînés sont ceux ayant le plus augmenté la valeur de leurs actifs durant la période étudiée par l’ISQ.

L’ISQ souligne aussi que les ménages dont le principal soutien économique a un diplôme universitaire ont un patrimoine plus important, alors que la richesse des ménages dont le principal soutien ne détient pas un diplôme d’études secondaire stagne depuis 1999.

Le changement majeur dans le patrimoine des ménages provient toutefois de la croissance de la valeur des résidences, comme nous le verrons un peu plus loin.

Cette période de croissance exceptionnelle pour le Québec fut aussi marquée par la mise en place de programmes sociaux ayant favorisé l’entrée ou le retour sur le marché du travail : équité salariale, réforme de l’aide sociale, hausses du salaire minimum supérieures à l’inflation, mise en place du réseau de garderies subventionnées et du congé parental.

Comme le démontrait récemment une étude sur le sujet, les nombreux changements au système fiscal ont favorisé la réduction des inégalités de revenus au Québec, neutralisant en grande partie l’augmentation des inégalités de marché (revenus du travail). Ce n’est pas un hasard si le coefficient de Gini, mesure par excellence des inégalités de revenus, a cessé d’augmenter à la fin des années 1990 pour ensuite rester stable les années suivantes.

Dans ce contexte favorable, comment expliquer que, selon cette étude de l’ISQ, les inégalités de richesses aient augmenté?

Les riches favorisés par le boum immobilier

D’abord, le coefficient de Gini est aveugle aux extrémités; il ne capte pas les changements qui ont lieu au sommet de la pyramide. Or, pendant cette période, le revenu des mieux nantis a augmenté beaucoup plus rapidement que ceux du 99% restant; de 309 000 $ en moyenne en 1993, il était de 393 000 $ six ans plus tard, et atteignait un sommet de 501 000 $ en 2006. Pendant ce temps, le revenu moyen du 99 % restant passait de 25 000 $ à 29 000 $.

Les mieux nantis épargnent une partie importante de leurs revenus, soit environ 50 % estiment certaines études. Ces sommes sont souvent réinvesties en Bourse et dans l’immobilier (rénovations, achat d’une résidence principale plus coûteuse, achat de biens immobiliers comme un chalet ou un bâtiment locatif ou commercial). Ainsi, les mieux nantis peuvent profiter davantage d’une embellie prolongée sur les marchés boursiers ou immobiliers.

Et ce fut le cas. En effet, cette période fut marquée par un important boum immobilier. Entre 1999 et 2012, la valeur médiane d’une résidence principale est passée de 123 900$ à 234 200$ une augmentation de 90 %, explique l’ISQ. La valeur moyenne des autres biens immobiliers est quant à elle passée de 64 700$ à 118 100$ (+ 82 %). Les bas taux d’intérêt ont également favorisé la demande en immobilier.

Ce boum pourrait aussi avoir profité à ceux qui étaient rendus à l’étape de leur vie où ils souhaitent acheter une propriété. À preuve, l’ISQ note que les ménages dont la valeur des avoirs a le plus augmenté sont ceux ayant un revenu net annuel entre 25 000$ et 50 000$ (dont plusieurs intègrent le marché du travail) et le groupe des gens âgés de 35 à 44 ans (un âge propice à l’achat d’une première maison).

Au final, cet accroissement important des inégalités de richesse n’est aucunement le résultat du mérite. Il fallait seulement être là au bon moment.


Source des revenus avant impôt du premier centile québécois: Statistique Canada, tableau CANSIM 204-0001.


Ce billet a d’abord été publié sur le blogue Le mirador des inégalités, de l’Institut du Nouveau Monde.