Élection fédérale: qui est le champion de l’égalité?

7 octobre 2015

L’économie canadienne est morose. Le marché de l’emploi peine encore à retrouver la vigueur qu’il avait avant la récession de 2008-2009. La classe moyenne canadienne peine à retrouver l’ampleur qu’elle avait dans les années 1980. La croissance économique est de plus en plus répartie inégalement entre les travailleurs. Et le Canada figure parmi les pays développés les plus inégalitaires sur le plan des écarts de revenu et de richesse.

Pas étonnant que les inégalités se soient taillées une place parmi les priorités discutées dans le cadre de la campagne électorale fédérale. Du moins du côté du Nouveau Parti démocratique (NPD) et du Parti libéral du Canada (PLC), qui ont fait plusieurs propositions pour réduire les écarts de richesse. Pour sa part, le Parti conservateur du Canada (PCC) continue d’ignorer cet enjeu, comme il le fait depuis qu’il a pris le pouvoir il y a dix ans.

Puisque le choix du prochain gouvernement aura d’importantes répercussions sur l’évolution des inégalités au Canada, ce texte présente un survol des positions de ces trois partis politiques sur cet enjeu.

Un enjeu mineur pour le Parti conservateur

Le Parti conservateur n’a pas fait beaucoup de promesses électorales, du moins jusqu’à présent, et pour cause; à titre de gouvernement sortant, son programme politique a été largement dévoilé lors du dernier budget, au printemps. Malheureusement, ce dernier comportait plusieurs mesures susceptibles d’aggraver les inégalités. C’est la conclusion à laquelle est arrivé un panel d’experts dans le cadre de l’exercice du Bulletin du budget de l’INM. Parmi les mesures jugées les plus risquées figurent celles visant à doubler les cotisations annuelles permises au CELI (désormais à 10 000$ par année), à fractionner le revenu pour les familles et à limiter le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral.

Or, pour le PCC, les inégalités ne constituent pas un véritable enjeu, ni électoral, ni politique et économique. À son avis, seules la création d’emploi et la croissance économique doivent être priorisées. Toutefois, celles-ci sont liées à la question des inégalités. Selon le FMI et l’OCDE, en plus de nuire à la croissance économique, les inégalités nuisent à l’emploi; en effet, si la croissance des revenus profite surtout aux plus riches, ces derniers épargneront davantage plutôt que de dépenser les sommes additionnelles et les réinjecter dans l’économie, qui perd ainsi de sa vigueur. De plus, si la population consomme moins, les entreprises créent moins d’emplois.

D’ailleurs, dans le Rapport du Comité permanent des finances, qui s’est penché l’an dernier sur la question des inégalités au Canada, la majorité conservatrice soutenait que:

«le gouvernement fédéral réitère son engagement ferme à garder les impôts bas et à ne pas instituer de taux d’imposition élevés et nuisibles aux particuliers et aux sociétés, taux qui ne pourraient que ralentir la croissance économique de tous les Canadiens».

Le problème avec ce type d’engagement, c’est qu’il risque d’augmenter les inégalités. Comme le démontrent ces graphiques de l’OCDE, hausser les impôts risque de réduire les inégalités, et réduire les transferts – qui sont financés par les impôts – risque d’augmenter les inégalités.

Autrement dit, l’approche du PCC risque non seulement d’augmenter les écarts économiques, mais minerait aussi la croissance économique et l’emploi.

NPD versus PLC: lequel en ferait le plus?

Depuis bien avant le déclenchement des élections, les principaux partis de l’opposition bataillent ferme pour obtenir l’appui tant des progressistes que de la classe moyenne. Le NPD a ouvert le bal au printemps dernier, en proposant d’abolir un crédit d’impôt profitant surtout aux PDG d’entreprises. L’économie ainsi générée, de 700 millions $, serait transférée entièrement aux familles à faible revenu grâce au renforcement de la prestation fiscale pour le revenu de travail et à une bonification du Supplément de la prestation nationale pour enfants. Au moment de cette annonce, nous avions analysé cette proposition afin de vérifier si elle était vraiment le «pas de géant» dont la qualifiait alors Thomas Mulcair, chef du NPD. Conclusion: bien que ce soit nettement un pas dans la bonne direction, ce changement ne réduirait que de très peu les inégalités.

Le PLC de Justin Trudeau a répliqué quelques semaines plus tard, en proposant l’ajout d’un cinquième palier d’imposition qui taxerait de 33% les revenus supérieurs à 200 000$, qui est le seuil pour faire partie du symbolique 1% le plus riche. Actuellement, le quatrième et dernier palier d’imposition est de 29% pour les revenus excédant 138 600$. Cet ajout permettrait d’ajouter près de 3 milliards $ dans les coffres du gouvernement, somme qui serait utilisée pour réduire de 22% à 20,5% le taux d’imposition applicable sur les revenus se situant entre 44 700$ et 89 400$, soit en gros les revenus de la classe moyenne. Nous avons également analysé cette proposition et l’avons comparée à celle de du NPD. Conclusion: bien que la proposition du NPD soit mieux ciblée, celle du PLC aurait un effet plus important sur les inégalités, puisque les montants redistribués aux moins nantis seraient quatre fois plus élevés.

Le NPD propose aussi d’augmenter le salaire horaire minimum à 15$ pour les travailleurs dans des entreprises de compétence fédérale (principalement les secteurs des télécommunications, des banques et du transport maritime et aérien), ce qui ne toucherait toutefois que 25 000 à 50 000 travailleurs. Par contre, les propositions visant à ramener l’âge d’admissibilité aux prestations de la Sécurité de la vieillesse de 67 à 65 ans et à augmenter de 400 millions $ le programme du Supplément de revenu garanti afin de «sortir 200 000 aînés de la pauvreté», auraient un plus grand impact sur les inégalités.

De son côté, le PLC propose plutôt de verser 300 millions $ de plus par an aux anciens combattants, comprenant une hausse du montant des indemnités d’invalidité et le rétablissement des pensions à vie pour les anciens combattants blessés, plus à risque de tomber dans la pauvreté.

Quant à l’assurance-emploi, le NPD et le PLC envisagent de renverser la réforme conservatrice, notamment en augmentant l’accès aux prestations pour les travailleurs.

Budget et garderies

Le NPD et le PLC se sont engagés à annuler la mesure visant à doubler les cotisations annuelles maximales permises au CELI et le fractionnement des revenus des familles, deux mesures particulièrement inégalitaires selon le Bulletin du budget.

Toutefois, ces deux partis se distinguent sur la question des déficits. Le PLC envisage de faire des déficits modérés durant les trois premières années de son mandat. Représentant à peine 0,5% du PIB, ces faibles déficits pourraient servir à stimuler l’économie. Inversement, le NPD souhaite plutôt présenter coûte que coûte un premier budget équilibré. Or, les panélistes du Bulletin du budget ont conclu qu’une loi forçant l’équilibre budgétaire, comme proposée par le gouvernement conservateur au printemps dernier, aurait tendance à augmenter les inégalités.

Par ailleurs, afin de stimuler l’économie, le PLC propose d’investir davantage que le NPD dans les infrastructures (entre 5 et 10 milliards $ par an comparé à 3 à 3,5 milliards $). Le Bulletin du budget québécois soulignait d’ailleurs que l’investissement en infrastructures peut réduire modérément les inégalités

Le NPD a le mérite de proposer un programme national de garderies. Même s’il coûtait plus cher à la plupart des familles hors Québec que le système québécois de CPE, ce programme serait un levier pour réduire les inégalités économiques et sociales dans le reste du Canada. Toutefois, le Québec bénéficiant déjà de son propre programme, les familles québécoises ne profiteraient pas de cette mesure. Tout au plus, une compensation financière sera envoyée au gouvernement du Québec, et nous ignorons l’utilisation qui serait faite de ces fonds hypothétiques.

Les propositions du PLC en matière de politique familiale sont également intéressantes, notamment la création d’une prestation mensuelle non imposable pour les familles. Puisqu’elle serait basée sur les revenus des ménages, les moins nantis recevant les prestations les plus élevées. Ainsi, les familles ayant un revenu annuel inférieur à 150 000$ recevraient davantage qu’avec le système actuel. Le PLC a également proposé des mesures pour assouplir les conditions de travail des jeunes parents.

Conclusion: le PLC sort gagnant

Au final, nous considérons que le programme du PLC réduirait probablement davantage les inégalités que celui du NPD, grâce notamment à l’ampleur de la redistribution fiscale proposée, de même qu’à son engagement à soutenir l’économie avec de modestes déficits. Toutefois le programme du NPD contient tout de même plusieurs pistes intéressantes. D’ailleurs, le Bloc québécois de Gilles Duceppe n’est pas en reste sur la question, en proposant d’augmenter l’impôt des plus riches et des entreprises, d’annuler la hausse du plafond du CELI et le fractionnement des revenus des familles, et en s’engageant à ne pas équilibrer le budget fédéral pour la prochaine année.

Décidément, l’enjeu des inégalités est là pour rester.


Ce billet a d’abord été publié sur le blogue Le mirador des inégalités, de l’Institut du Nouveau Monde.