6 août 2015
Chercheurs, journalistes et citoyens de partout au pays consultent régulièrement les données publiées par nos gouvernements et par leurs organismes responsables de fournir de produire et de diffuser des informations statistiques sur différents aspects de notre société. Or, Statistique Canada et l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) ont subi des changements importants ces dernières années.
Les données statistiques qu’elles produisent sont inestimables pour guider la prise de décision portant sur un projet d’infrastructure ou un programme social, par exemple, et permettent également aux citoyens de se renseigner sur l’ampleur du chômage dans une région, les écarts de revenus ou encore, l’évolution de l’espérance de vie, pour ne nommer que quelques-uns des aspects analysés.
Le hic, c’est que produire ces statistiques coûte de l’argent à nos gouvernements. Évidemment, leur coût est minime en comparaison des budgets mobilisés par l’État, mais elles ne produisent pas de services publics directs et tangibles pour la population. De plus, de ces statistiques émanent parfois des constats qui dérangent politiciens, idéologues, organisations ou entreprises.
Moins fiables et moins accessibles
Pour une partie ou pour l’ensemble de ces raisons, Statistique Canada, et récemment l’Institut de la statistique du Québec, a subi des changements budgétaires et organisationnels importants qui affectent directement leur capacité de mener à bien leur mission. Regardons ça de plus près.
D’abord, regardons le cas de Statistique Canada. Selon l’Alliance de la fonction publique du Canada, plus d’un millier d’emplois y ont été abolis depuis 2010. Et d’ici 2017, ce seront 143 millions $ qui seront retirés du budget de cet organisme, supprimant au passage 570 emplois supplémentaires. C’est dire qu’en sept ans, le tiers du budget et le quart des effectifs de Statistique Canada auront été retranchés.
De plus, l’abolition, en 2010, du formulaire long obligatoire a fortement réduit la fiabilité du recensement canadien. L’OCDE affirmait en 2011 qu’en raison de ce changement, les données du recensement publiées par Statistique Canada n’étaient plus tout à fait fiables, en particulier celles concernant les moins nantis et les petites municipalités. La raison en est simple: si le recensement n’est pas obligatoire, la représentativité des données est notoirement incertaine pour les petits groupes.
Quant à l’Institut de la statistique du Québec, non seulement le budget de cet organisme est en baisse depuis quelques années, mais les objectifs de réduction budgétaire ont imposé des choix difficiles à la direction cette année. Ainsi, la Banque de données des statistiques officielles pour le Québec (BDSO) n’est plus mise à jour depuis quelques semaines et l’ISQ a annoncé hier que ce site devait être fermé le 19 août prochain.
Ce guichet unique permet aux internautes d’accéder aux données statistiques de 28 ministères et organismes publics du Québec, en un seul format accessible. Lancée en 2003, la BDSO rassemble une foule de données sur l’économie, la santé, l’éducation, le transport, et bien plus encore. Un grand nombre de chercheurs dépendent de ces données pour mener à bien leurs travaux.
Devant le tollé provoqué par cette nouvelle, un porte-parole du ministère des Finances a ouvert la porte à une révision de cette décision. Une partie du manque à gagner pourrait être comblée par les ministères et organismes, qui devraient réduire d’autant leurs dépenses. Toutefois, rien n’indique que l’ISQ ne devra pas trouver ailleurs dans son budget une façon de pallier à ce manque de revenus. Autrement dit, pour sauver la banque de données, des heures de travail (pour mettre à jour la banque de données, par exemple) pourraient être coupées. D’autres projets de recherche pourraient être abandonnés. Les apparences seraient sauvées, mais les effets néfastes de cette réduction budgétaire n’en disparaîtraient pas pour autant.
Des conséquences durables
La mémoire institutionnelle des organismes et des ministères sont considérablement affaiblis lorsqu’ils sont touchés par les coupes budgétaires et par des abolitions de postes, comme c’est le cas actuellement. Les capacités de l’État de mesurer et surtout d’intervenir efficacement au moyen de politiques sociales en sort amoindries.
L’accessibilité à des données fiables est essentielle pour mesurer les effets des politiques publiques. Or, parmi les éléments que l’État rationne, il y a aussi les outils lui permettant d’évaluer ses propres actions. Notre société a-t-elle progressé sur tel ou tel enjeu? Les gouvernements doivent-ils intervenir? Si oui, de quelles façons et en vue de quels objectifs? Sans des données récentes et probantes, difficile de le savoir. Cela revient à naviguer à l’aveuglette.
Au-delà des enjeux budgétaires, nous devons nous questionner à savoir quel genre de société nous voulons. Car, au final, ces décisions érodent notre capacité à prendre des décisions et de mener des débats éclairés. C’est un net recul pour la démocratie.
Ce billet a d’abord été publié sur le blogue Le mirador des inégalités, de l’Institut du Nouveau Monde.